"Le corps du patriarche gisait sur le sol dallé, son visage parcheminé figé dans un rictus abominable. De sa prestance passée, des siècles d'expérience accumulée, de l'effroi qu'il faisait naître dans l'âme de ses interlocuteurs, il ne restait rien : un cadavre, désespérant de banalité.
Endemyon parcourait la salle d'étude du regard, linéaires d'ouvrages précieux, aux lourdes reliures de cuir et fermoirs d'argent, étagères couvertes de fioles scellées, de bocaux, d'alambics, d'instruments ésotériques provenant des quatre coins de ce monde - et même d'au-delà ; il cherchait un indice, un principe d'explication.
Endemyon effleura du bout des doigts la pierre de vision, enchâssée sur un trépied ouvragé au centre de la pièce. Elle crépitait encore de magie - elle avait servi il y a peu. Endemyon n'était pas loin de penser que la mort avait surpris son père en pleine conversation...
Endemyon doutait qu'il y ait eu une lutte : la plupart des objets qui étaient tombés, la tablette renversée, le vin qui avait souillé le tapis - son père avait sans doute entraîné tout cela dans sa chute.
Le vin... Aucune blessure apparente sur le corps... Un poison ?
Endemyon n'était pas sans ignorer que son père, alchimiste de grande renommée, avait passé de longues années à immuniser son corps à la plupart des poisons connus. Il s'était vanté assez souvent de pouvoir absorber les plus terribles décoctions sans même en perdre l'appétit. Que le vieux patriarche ait rencontré son maître paraissait hautement improbable...
La salle d'étude devrait être fouillé avec méthode. En temps et en heure. Pour le moment, il importait avant tout de prévenir les gens de sa Maison de cet événement inattendu.
Quand ils seraient réunis, frères, soeurs, cousins, ils décideraient ensemble de ce qu'il convenait de faire. Gwydion, refusant d’envisager sa disparition, avait toujours éludé le problème de la succession - plusieurs membres de la famille pouvaient prétendre à gouverner la Maison Cornaline. Endemyon n'écartait pas la possibilité que l'un d'entre eux soit coupable. Lui-même serait sans doute soupçonné par ses pairs.
Il quitta la salle d'étude et murmura le mot de passe qui en scellait magiquement l'accès. Par précaution, il laissa deux gardes de faction devant l'unique porte d'entrée.
S'interrogeant ce qu'il convenait de faire dans l'immédiat, Endemyon décida que le plus approprié serait de prendre sans délai son petit-déjeuner..."